Quelle chaleur ! Il fait chaud, très chaud, Quelle soif ! Vous arrivez à destination et vous aspirez au plaisir de vous rafraîchir d'un grand verre de boisson glacée. Vite ! Flip ! Flop ! Deux glaçons sortis tout droit du congélateur glissent dans votre verre. C'est simple et facile. Vous dégustez, à petites gorgées, heureux, enfin désaltéré !
Mais... comment faisait-on, « avant ?», dans le passé, pour boire ou manger glacé quand on ne savait pas fabriquer le froid artificiel, à domicile ?
Nos ancêtres puisaient dans la nature et le gel de l'hiver était leur allié. C'était la seule façon naturelle de garantir la fraîcheur des aliments. Oui, mais comment cultiver, conserver, transporter et distribuer cette glace ?
Au XIXème siècle, c'est à partir de la production de glace, formée à la surface de toute étendue d'eau gelée (lacs, étangs, rivières) découpée en blocs, stockée dans des glacières et vendue aux particuliers et aux commerçants, que se développa le commerce de la glace, une véritable industrie La distribution aux clients proches et lointains, se faisait par charrette, tombereau, train et même bateau partout dans le monde.
En 1882 l'industriel marseillais, Henri Gignoux, fut autorisé à faire une prise d’eaux dans la rivière le Petit Buëch pour alimenter ses 10 hectares d'étangs. Et, profitant des hivers rigoureux de la région, il créa la première glacière à la Roche-des-Arnauds. D'autres industriels l'imitèrent avec plus ou moins de succès. C'est ainsi que, sur la commune, quatre bâtiments d’exploitation de la glace virent le jour et stimulèrent l'économie locale, toujours en sommeil pendant l'hiver.
Cette industrie devint florissante grâce à une centaine d'ouvriers saisonniers de La-Roche-des-Arnauds et des villages alentours que l'on employait par période de 10 à 15 jours de décembre à mars pour le découpage et le stockage ou de juin à septembre soit pour les expéditions ou les livraisons.
De la goutte d'eau ...au pain de glace ! Comment exploitait-on les glacières ?
L'eau de la rivière amenée par un canal arrivait dans le lac artificiel sur une hauteur maintenue toujours à niveau constant de 0,50m à 1,50m (et même 3,50m pour la glacière de Henri Gignoux). Peu à peu, l'eau se transformait en glace et il fallait environ vingt jours pour que l'épaisseur soit suffisante, soit 22cm. Selon les fluctuations du temps et des chutes de neige, on utilisait des rabasses, grands racloirs qui, selon leurs tailles (de 50cm à 2,50m) étaient poussés soit par un ou deux hommes soit par des chevaux. Ils rabattaient la neige jusqu'à obtenir l'épaisseur souhaitée.
La récolte.
Avec une charrue spéciale, sur toute la longueur du lac, on traçait de longs sillons espacés de 80 cm. On découpait ensuite les bandes en tronçons de 4 m, avec des scies à glace. Puis, ensemble, sur un même rythme cadencé, les « piqueurs » frappaient de leur pique le sillon tracé par la charrue pour découper des blocs de 4m sur 0,80m. Les « résilleurs » avec leur « arpic » les amenaient ensuite en bas du bâtiment de stockage où un ouvrier les divisait en pains de 1 m de long environ.
Le stockage.
Ces pains de glace, stockés en attente étaient poussés par des ouvriers de part et d'autre de la rampe d'accès. On les remplaça ensuite par des chevaux et, en 1929, par des moteurs électriques.
A l’intérieur de la glacière l'isolation des murs, faite de planches, d'une couche de sciure, de paille de 15cm permettait une conservation de la glace jusqu'à une année. Au chargement de la glacière la rampe inférieure accueillait une première couche de blocs, puis, rampe après rampe, on superposait les couches pour remplir la totalité de la glacière sur une hauteur de glace d'environ 10 m. Certains hivers rigoureux permettaient de faire parfois 2 récoltes, et donc des stocks en prévision d'un hiver plus doux sans glace.
Comment la glace était-elle transportée ?
Au début de l'exploitation des glacières, c'est, tirés par des chevaux, que des tombereaux plats, chargés de 4 m3, transportaient la glace jusqu'à la gare de Montmaur.
La construction de la gare de La Roche-des-Arnauds en 1885 facilita les expéditions vers Gap, mais aussi et surtout, vers toutes les gares du Sud-Est, celles des : Alpes de Haute Provence, des Bouches du Rhône, de la Drôme, de l'Isère, du Var, du Vaucluse. Les pains de glace, isolés de l'air par des couches épaisses de crin, et séparés par des feuilles de papier, étaient disposés sur les plateaux de wagons, prêts pour la livraison.
Les problèmes liés au commerce de la glace naturelle.
Le commerce de la glace naturelle a rencontré plusieurs difficultés :
-La chaleur : on perdait parfois la moitié de la cargaison sur un parcours de 200km quand les températures de l'été grimpaient.
-Les taxes d’octroi :
A cette époque, pour faire entrer des marchandises dans une ville, il fallait payer l'octroi c'est à dire des taxes. La glace, étant considérée comme un produit de luxe, le droit d'entrée dans les villes du sud-est était très élevé. Son prix pouvait doubler !
-La concurrence des autres exploitants de plus en plus nombreux.
-Et, surtout, le progrès technique par l'arrivée du « froid électrique » et du transport frigorifiques (wagons et camions).
Malgré les prises de conscience et les demandes des industriels aux élus pour faire baisser les taxes et continuer de donner du travail aux montagnards en hiver, les glacières, dès 1914, fermèrent les unes après les autres. Les deux dernières s'arrêtèrent l'une en 1923, l'autre, en 1939. Celle-ci, encore à moitié pleine fut réquisitionnée pour devenir un dépôt militaire et, tous les pains de glace restants furent jetés dans le lac.
On n'exploita plus la glace après la deuxième guerre mondiale. Ce fut une autre époque, celle de la fée électricité et des transports frigorifiques modernes. L'industrie des glacières, qui avait donné tout son essor au petit village de La Roche des Arnauds disparut complètement.
Vous y penserez forcément en vous désaltérant... Vous ne regarderez plus vos glaçons de la même façon...